Home
« Mort au Dark Honey » c’est le titre de mon premier livre, signé d’un pseudonyme masculin et américain, pour exigences éditoriales. C’était les années ’60 et en ces temps-là, à moins de s’appeler Agatha, une femme n’écrivait pas des polars. Bien qu’Artie n’eut pas beaucoup de succès, à l’époque il se vendait bien.
J’ai commencé à taper sur le clavier de mon Olivetti 35 avec enthousiasme mais, arrivée à la 5ème page, j’ai connu le blocage de l’écrivain. Je n’avais plus rien à dire. Et en ce terrible moment j’ai compris combien pouvait être contraignant écrire une histoire de 135 pages, 30 lignes par page, 65 caractères par ligne, capable de séduire et obtenir le OK du fameux lecteur. Car c’est ainsi que cela fonctionnait. Mes écrits devaient répondre à des règles strictes et la place sur l’étagère n’en était qu’une partie.
Depuis lors, il y a eu bien des années et bien des pages. Artie Holland, Marion G Tracy, Gene Nelson, Kim Ball, Jack Hund, Anonimus.se sont suivis et ont raconté des histoires d’horreurs, policières, roses ou érotiques, construites selon des diktats éditoriaux.
J’utilisais l’Olivetti mais pas seulement. Il y a 50 ans je faisais du smartworking (télétravail) dans la worksphere avec comme instruments un stylo à encre et mon cahier dont je ne me séparais jamais. Le plan était : 10 pages par jour. La dernière, celle qui fermait le chapitre, était très courte mais elle valait autant pour l’édition. J’écrivais partout, dans la salle d’attente du dentiste, en vacances, même et surtout le dimanche, les autres jours je travaillais à la RAI et je donnais aussi des cours de piano.
Je travaillais toujours. J’avais besoin d’argent. Dans les année ’70, toute de suite après la loi ayant autorisé le divorce, avoir deux enfants et se séparer d’un mari avocat n’était pas chose aisée. Et la cause de ma séparation avait à son tour quatre enfants, ce qui rendait les choses encore plus difficiles. A l’époque être libre de son choix revenait très cher, dans tous les sens du terme et le côté économique était le moins important mais le plus urgent.
J’ai toujours travaillé et je continue de le faire, même si maintenant je peux m’en passer. Les enfants sont adultes et font leur chemin. Les maris sont morts. Mais l’écriture peut devenir un vice. Un vice magique qui donne de l’énergie au lieu d’en enlever Ecrire rend lucide, met de l’ordre dans les idées, amuse et fait vivre l’espérance. Quand on écrit on imagine, on projette, on rêve. Bâtir une histoire c’est comme construire un palais ou une cathédrale ou un pont sur un détroit ou encore une cabane au toit de paille.
Mes cabanes sont nombreuses et toutes différentes. Je me suis amusée à les construire et je continue de le faire et de m’amuser.
Qu’y a-t-il de plus beau que vivre une histoire ? L’inventer.